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Adhémar de Chabannes

Adémar de Chabannes est l'un des moines les mieux connus du XIe siècle, grâce à la conservation d'une abondante oeuvre autographe.

 

Né en 988 près de Châteauponsac (Haute-Vienne), il appartient à une famille de la noblesse moyenne du Limousin, apparentée au vicomte de Limoges, peut-être au comte d'Angoulême. Son père est petit-neveu de l'évêque de Limoges Turpin d'Aubusson. Il a pour oncles le prévôt du Dorat, le prévôt Adalbert et le chantre Roger de Saint-Martial de Limoges, qui jouent, semble-t-il, un rôle important dans sa formation. Dès sa tendre enfance, il entre comme oblat à Saint-Cybard d'Angoulême où il devient moine, mais ses attaches restent limousines puisqu'il fait de fréquents séjours à Saint-Martial de Limoges, écrit d'importants textes en faveur de cette abbaye et lui lèguera tous ses livres. Il meurt lors d'un pèlerinage à Jérusalem en 1034.

 

De tous les écrits laissés par Adémar de Chabannes, les plus célèbres sont sa Chronique (Historia) et la Geste des abbés de Saint Martial de Limoges (Commemoratio abbatum Lemovicensium basilice S. Martiali apostoli), textes qui constituent l'une des sources essentielles de l'histoire de l'Aquitaine au début du Moyen Age.

 

Adémar de Chabannes - Psychomachie de Prudence

La discorde cernée par Vénus; La Foi, reine des Vertus, fend le crâne de la Discorde; le corps de la Discorde mis en pièce par les Vertus; Construction d'une tribune élevée; La Concorde et la Foi présentent la tribune et la vigilance; La Concorde et la Foi siègent à égalité

Discours de la Concorde aux Vertus réunies; discours sur la nécessité de bâtir un temple; La Foi et la Concorde arpentent le terrain; Le Temple achevé; La Sagesse trônant; Action de grâce de l'auteur

La Chronique, formée de trois livres, est le résultat d'une compilation de textes antérieurs pour les périodes mérovingiennes et carolingiennes, puis d'une série de témoignages sur des faits contemporains, dont on peut penser qu'une bonne partie sont de première main ou traités de manière originale. Les nombreuses versions du texte montrent que l'oeuvre a été reprise plusieurs fois, notamment pour tenir compte de l'évolution des relations entre les princes d'Aquitaine et la royauté capétienne. La troisième et dernière version est actuellement conservée en deux parties au Vatican et à Paris.

 

La première légende de saint Martial, dite Vita Antiquior, a été rédigée à l'époque carolingienne : assez brève, elle fait de Martial un contemporain de saint Pierre, envoyé de Rome par ce dernier. La seconde légende de saint Martial, dite Vita Prolixior, remonte à la fin du Xème siècle ou au début du XIe siècle : Martial est devenu parent de Pierre, il participe à la vie publique du Christ, notamment au Lavement des pieds.

L'idée de faire de saint Martial un apôtre du Christ émane probablement de l'abbaye, soucieuse de préserver sa prééminence, à l'heure où les églises revendiquent les reliques des saints les plus puissants : c'est à cette époque que l'on découvre à Angély le chef de saint Jean-Baptiste dont le culte risque de faire ombrage à celui du saint limousin et de concurrencer dangereusement l'un des plus fructueux pèlerinages d'Aquitaine.

Adémar de Chabannes prend activement part au débat, rédige de nombreux sermons en faveur de l'apostolicité de Martial et engage en 1028 une violente discussion avec Benoît, prieur de Cluse, qui rejette avec véhémence ce qu'il considère comme une falsification grossière de la liturgie. Adémar pousse même son engagement jusqu'à rédiger des faux qui feront illusion jusqu'au XIXe siècle. Ce n'est que par lui que l'on connaît le Concile de 1031 (aujourd'hui remis en question par quelques historiens) qui officialise, en présence d'ecclésiastiques et de princes venus de toute la France, l'apostilicité de saint Martial.

 

Si c'est avant tout son rôle de chroniqueur et d'ardent défenseur de l'apostolicité de saint Martial, Adémar est l'auteur d'innombrables sermons. D'autres oeuvres autographes témoignent cependant d'une incroyable curiosité. Parmi elles figurent des textes illustrés regroupés dans le manuscrit conservé à Leyde, quelquefois comparé à l'album de Villard de Honnecourt, où se succèdent des images bibliques et allégoriques, la Psychomachie de Prudence, le traité d'Astronomie d'Hyginus, les Fables de Romulus, associés à des textes réunis par le moine tels que le catalogue des archevêques de Tours et des évêques de Limoges, le martyrologe de Bède le Vénérable, un traité des couleurs...

L'étude des miniatures d'Adémar, dessinées simplement à la plume, montre qu'il reproduit fidèlement ses modèles (enluminures et ivoires essentiellement). Leur choix trahit autant le respect de la tradition carolingienne et ses fondements antiques que l'attrait pour d'autres conceptions décoratives. Il témoigne donc parfaitement de la richesse d'inspiration de cette période d'élaboration de l'art roman. Certaines illustrations portent des lettres correspondant à des couleurs, comme si ces croquis étaient destinés à donner lieu à une transcription enluminée, les textes à être recopiés avec soin dans le scriptorium de Saint-Martial, pour compléter la bibliothèque du monastère.

 

Adémar est aussi l'auteur de pièces en vers, qui dévoilent son nom dans des acrostiches. On lui attribue également un Versus de sancto Marciale, texte poétique en l'honneur de saint Martial accompagné d'une double notation musicale : la complexité de la composition s'inscrit dans la création musicale très originale qui se développe à Saint-Martial de Limoges dans la première moitié du XIe siècle.

Adémar de Chabannes - Fables de Romulus

Le lion et le rat; le paysan, son fils, la grue et la corneille; l'hirondelle et les oiseaux
L'histoire des grenouilles qui demandent un roi; le milan et les colombes; le chien et le voleur; le chauve et les melons

 

Les dessins d'Adémar de Chabannes


L'oeuvre historique et apologétique d'Adémar de Chabannes est assez bien connue des historiens du Moyen Age, alors que son oeuvre de dessinateur n'a jusqu'à présent que peu retenu l'attention. Mme Jean-René Gaborit-Chopin vient de publier sur ce point une étude neuve et définitive dont il faut souligner toute l'importance. Il ne peut être question ici que de rappeler les principales conclusions auxquelles est arrivée l'auteur, sans pouvoir suivre le déroulement de sa  démonstration qui emporte une conviction totale. Adémar de Chabannes (988- 1034) n'est pas à proprement parler un artiste ; il a inséré au fil de la rédaction de  certaines de ses oeuvres un certain nombre de dessins hâtifs qui méritent d'être analysés. Parmi ces manuscrits, le plus important est sans conteste celui de Leyde où l'on trouve des illustrations des fables dérivées de Phèdre, de la Psychomachie de Prudence, de quelques scènes de la Vie du Christ et différents autres croquis jetés pêle-mêle. Ce manuscrit, dont l'attribution à Adémar a été établie d'une façon définitive par L. Delisle, doit donc servir de pièce de référence. On y trouve le cycle complet des illustrations du poème de Prudence, traitées dans un style rapide et rude, qui ne manque pas d'une certaine vivacité. Adémar, malgré un art assez maladroit, réussit à donner un certain mouvement à chacune de ces scènes. On retrouve tout au long de cette série la même façon de traiter les visages : ligne  continue pour le nez et la bouche, sourcils hauts et écartés, oeil marqué par un gros point noir. C'est en fait l'iconographie plus que le style qui en fait tout l'intérêt. 

 

Mme Gaborit s'est efforcée, avec un sens très aigu, de démêler les sources dont s'était inspiré Adémar dans ses dessins. Les réminiscences antiques sont très nettes, comme on l'a souvent souligné, mais il n'est guère besoin de remonter à un archétype du ve siècle pour les expliquer. En effet, tous ces détails antiquisants ont revécu à l'époque carolingienne et il est vraisemblable qu'Adémar eut sous les yeux un manuscrit carolingien qu'il aurait copié entre les années 1010 et 1031, la part de  l'invention personnelle étant en effet presque nulle.

 

Le codex de Leyde conserve également le texte des fables, lui aussi illustré. Comme pour la Psychomachie, Adémar a d'abord illustré les pages de son manuscrit avant de le rédiger, mais, à la différence du texte précédent, aucun trait de plume ne délimite les scènes. On retrouve dans cet ensemble la même main que dans la Psychomachie, avec ces longs traits de plume un peu mous, ce sens du mouvement lié à une certaine maladresse. Adémar s'est inspiré d'un manuscrit roman du xe ou même des premières années du xie siècle, sans doute un Romulus du sud-ouest de la France ou du Val de Loire. Ce manuscrit originel était en effet relevé de
couleurs vives et claires dont Adémar a pris soin d'indiquer la nature par des abréviations tracées sur ses dessins. Le troisième texte de ce codex est une copie d'un traité d'astronomie, YHyginus. Les différences de style que l'on pourrait souligner entre les dessin? précédents et ceux-ci tiennent plus en fait à une différence de modèle qu'à une différence de main. L'auteur montre que le manuscrit dont il s'était inspiré, comme pour la Psychomachie, remontait au ixe siècle. Les premiers folios du manuscrit de Leyde sont ornés des scènes de la Vie du Christ où l'on décèle encore le style des dessins de la Psychomachie et de YHyginus. Cependant, à la  différence des autres illustrations, celles-ci ne sont accompagnées d'aucun texte : aussi se développent-elles plus librement sur la page avec plus de souplesse dans le
traitement des plis et plus de délicatesse dans celui des visages. L'iconographie de ces différentes scènes n'est pas le fait de l'artiste, mais elle est traditionnelle et est empruntée à un modèle que Mme Gaborit a réussi à identifier : il s'agit d'un manuscrit carolingien. Cependant, l'absence de tout ordre chronologique dans le découlement des scènes et le fait que certaines illustrations sont d'un autre format obligent à faire appel à d'autres sources. La réunion de plusieurs scènes sur un même folio (Descente de Croix avec la Nativité, Crucifixion avec le Baiser de Judas) permet d'évoquer les plaquettes d'ivoire dont il est malaisé de préciser la date.
Il existe enfin quelques dessins isolés d'Adémar de Chabannes dans deux manuscrits de Paris et un de Rome : ils se présentent cette fois-ci comme des lettrines insérées dans le texte. On y voit le martyre d'une sainte femme et l'effigie de saint Cybard présenté en médaillon dans celui de Paris, des personnages, des animaux ou des motifs décoratifs qui évoquent pleinement l'art roman dans le codex de Leyde. On trouve même dans ce dernier la transcription d'une inscription en caractères coufiques.

 

A cet ensemble d 'oeuvres traditionnellement attribuées à Adémar depuis Leopold Delisle, la critique moderne en a ajouté quatre. Mme Gaborit refuse  catégoriquement de reconnaître sa main dans Y Heautontimoroumenos, où le style des illustrations est très différent, et dans le Sacramentaire de Madrid qui est plutôt l'oeuvre d'un continuateur du style du Lectionnaire (lat. 5301). En revanche, deux dessins se rapportant à Charlemagne, l'un à la Bibliothèque nationale, l'autre au Vatican, sont certainement dus à Adémar. Il a figuré sur l'un le portrait de Charlemagne de face et sur l'autre son tombeau. Enfin la dernière oeuvre est la figuration
de quatre Vices qui orne un traité de saint Nil. Elle pose des problèmes, car elle ne ressemble à rien de connu et son iconographie est trop particulière pour être due à Adémar.

 

En conclusion, on voit tout l'intérêt de cette étude de Mme Gaborit : Adémar n'est pas un artiste, il plie sa main aux modèles qu'il a choisis sans esprit d'invention. Mais l'intérêt est le choix même de ces modèles : il les prend le plus souvent dans l'art carolingien , ce qui montre assez le prestige que conservait aux yeux des lettrés cette grande période. Les artistes copient les manuscrits ou s'en inspirent, enrichissant ainsi le vocabulaire de l'art roman. — Danielle Gaborit-Chopin, Les dessins d'Adémar de Chabannes, dans Bulletin archéologique, nouvelle série, 1967, 3, p. 163-225, 39 fig.

Dans ce tropaire prosier du XIème siècle, on retrouve cette iconographie de saint Martial entre deux paons. Une deuxième période est lisible sur ce manuscrit ou un grattage a été réalisé systèmatiquement pour reprendre le "titre" attribué à Martial. Cette correction vise à donner à saint Martial le titre d'apostolus, en lien évidemment avec la thèse défendue par Adémar de Chabannes de l'apostolocité du saint .

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