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Jaufré Rudel

Jaufré Rudel (v. 1113 à Blaye - v. 1170) est un troubadour aquitain de langue d'oc. Surnommé le prince de Blaye, ville dont il fut le seigneur, il prit part à la deuxième croisade (v. 1147-1149).

 

Selon la légende, il aurait entendu parler de la princesse de Tripoli et en serait tombé amoureux. Au cours de la deuxième croisade, il serait mort dans ses bras.

 

Il écrivit des chansons d'amour où il chante « l'amour courtois », c'est-à-dire l'amour impossible et sans espoir, en célébrant peut-être la comtesse Hodierne de Tripoli, une dame bien née et inaccessible. Il semble qu'il soit effectivement tombé amoureux d'une dame établie en Orient et que, pour des raisons matérielles ou psychologiques, cet amour soit resté un amour de loin (« amor de lonh »).

Et c’est cette légende qui est sans doute au plus près de la vérité du poète, car son rédacteur a, pour l’écrire, cherché au cœur de sa poésie. Les rédacteurs des vidas des troubadours, dont Uc de Saint Circ fut le principal, se sont tous appuyés sur les chansons des poètes pour réécrire leur vie sans se soucier, la plupart du temps, de la réelle exactitude des renseignements qu’ils fournissaient. Il s’agissait de présenter les chansons par le biais de leur auteur. Le rédacteur anonyme de la vida de Rudel a bien sûr extrait des vers de Rudel la figure de cette dame lointaine pour laquelle il se croise :

 

Be tenc lo Senhor per veray
¨Per qu’ieu veirai l’amor de lonh ;
Mas per un ben que m’en eschay
n’ai dos mals, quar tan m’es de lonh.
Ai ! car me fos lai pelegrins,
si que mos fustz e mos tapis
fos pels sieus belhs huelhs remiratz !

 

Mais il est surtout allé très loin dans la compréhension de l’entreprise poétique de Jaufre Rudel afin d’en composer cette histoire qui, moins que sa légende, pourrait être considérée comme une des plus justes illustrations du message de l’âme rudelienne :

 

Nuils hom no·s meravill de mi 
S’ieu am so que ja no·m veira,
Que·l cor joi d’autr’amor non ha
Mas de cela qu’ieu anc no vi,
Ni per nuill joi aitan no ri,
E no sai quals bes m’en venra.
[…]
Ben sai c’anc de lei no·m jauzi,
Ni ja de mi no·s jauzira...

Nombreux sont les princes de Blaye qui portèrent le nom de Jaufre Rudel, nom apparaissant en outre bien au-delà des frontières du Blayais. Cette multiplicité rend difficile l’identification du Jaufre Rudel troubadour et plusieurs hypothèses sont avancées. L’hypothèse la plus connue et qui est encore adoptée par Roy Rosenstein est que notre poète serait le Jaufre Rudel II de Blaye sur lequel justement les renseignements sont les plus clairsemés. Il apparaît dans les chartes de l’abbaye de Tenaille et dans le cartulaire du prieuré de Saint-Gemme. Roy Rosenstein daterait sa naissance aux alentours des années 1100 et au plus tard en 1115.

 

Ce Jaufre Rudel aurait accompagné Louis VII et Aliénor, alors reine de France, lors de leur expédition pour la deuxième croisade en 1147 et il n’en serait jamais revenu. On daterait alors sa mort en 1148. Si notre poète est bien celui-ci, avant de faire partie, à l’âge mur, de la troupe menée par Aliénor d’Aquitaine et son époux, il aura eu maille à partir, dans sa jeunesse, avec le grand-père de cette dernière, un autre troubadour, aujourd’hui connu comme le premier faute de témoignage antérieur, le truculent Guillem IX d’Aquitaine (1071-1126). Ce dernier a en effet repris la forteresse de Blaye à Girard, père de Jaufre Rudel en y détruisant tours et fortifications.

 

La forteresse ne revint à Jaufre Rudel II de Blaye que sous le règne de Guillaume X, fils du Troubadour et père d’Aliénor.La légendeQuels que soient les éléments biographiques de la vie du poète de Blaye, ils ne sauraient changer les termes de sa légende qui, bien plus que sa poésie, a fait la postérité du troubadour. Sa vida, écrite au XIIIe siècle, a fasciné et fascinera encore car elle contient en substance tout le mystère de la naissance du désir et de l’amour de même qu’elle véhicule l’essence de la création troubadouresque. Tombé amoureux de la comtesse de Tripoli sur les simples déclarations des pèlerins venus d’Antioche, le prince de Blaye se met à composer de nombreux vers à son sujet et habité par le désir de la voir prend la mer pour aller la rejoindre. Sur le bateau il tombe malade et, selon les versions, il perd l’ouïe et l’odorat ou la vue et l’odorat. Il parvient quand même sur les terres de sa Dame, celle-ci prévenue se rend à son chevet. Sentant qu’il est en présence de la dame tant désirée, il retrouve ses sens perdus juste avant de mourir dans ses bras. Ce même jour, voyant que Jaufre Rudel n’est plus de ce monde, elle décide de s’en retirer en se faisant religieuse.

 

Cette histoire, qui forme quasiment un texte littéraire indépendant, donne une vision absolue de l’amour et du désir. La dame aimée ne saurait être possédée, elle reste l’ailleurs que l’on ne cesse de désirer car on ne saurait jamais vraiment l’atteindre. Et les mots et les sons que l’on tend vers elle sont la métaphore de ce désir toujours renouvelé pour elle. De desir mos cors no fina vas selha ren qu’ieu pus am, « Mon cœur n’en finit pas de désirer celle que j’aime le plus » chante le troubadour dans Quan lo rius de la fontana. Cette légende d’amour révélé et de mort précoce, de désir indestructible et de renoncement total mais surtout de la quête du vrai et de l’absolu a fait la célébrité de Jaufre Rudel et lui a conféré, par ce voyage orphique inversé, le statut de chantre absolu du désir troubadouresque.

 

(Source - Troubadours d'Aquitaine)

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